Mr B, guinéen de 58 ans est enfermé au centre de rétention de Vincennes le 13 avril. Deux jours plus tard, il débute une grève de la faim. Son corps est l’unique et ultime outil dont il dispose pour protester devant l’état français et l’union européenne contre son enfermement et sa prochaine expulsion vers l’Italie. Il boit de l’eau et du jus de fruit une fois par jour et refuse toute nourriture ou médicament. Son enfermement se terminera légalement le 27 mai prochain. Entre temps, il risque une expulsion à tout moment.
Mr B a quitté la Guinée Conakry en 2007 pour des raisons de santé et arrive en France en janvier 2014. Il est d’abord débouté d’une demande de titre de séjour pour raison médicale avant de demander l’asile en septembre 2016. Mr B est un « dubliné ». C’est l’Italie qui est responsable de sa demande d’asile, ses empreintes digitales ayant été prises une première fois là-bas.
Les empreintes digitales sont au cœur de la politique européenne du droit d’asile : le règlement Dublin III pose pour principe que toute demande d’asile doit être effectuée dans le premier pays signataire où la personne a été enregistrée.
Mr B. livre un témoignage de son quotidien en centre de rétention administrative, pris dans des politiques européennes absurdes d’enfermement, d’expulsion et de gestion des corps.
Nous relayons son témoignage recueilli par RESF, entre le 15 avril et le 11 mai 2018, pendant son enfermement.
- Êtes-vous d’accord pour témoigner malgré un potentiel risque de représailles sur vous dans le centre ?
« Je suis d’accord pour qu’on diffuse mon témoignage. Tout le monde va comprendre et c’est pour ça que je fais la grève de la faim. »
- Pourquoi faites-vous la grève de la faim ?
« On m’a enfermé le 13 avril. J’ai commencé ma grève de la faim 2 jours après. C’était il y a 27 jours. Je vais mal. Je fais la grève de la faim parce que je ne veux pas aller en Italie. Pourquoi ils veulent m’emmener là-bas ? Je ne comprends pas l’italien. Je parle français et je veux travailler ici. »
- Quel est votre parcours depuis la Guinée ?
« Je suis en France depuis janvier 2014. J’étais agriculteur à Télimélé en Guinée-Conakry. J’ai décidé de partir en Europe parce que j’étais malade. J’ai vu des médecins là-bas mais ils n’ont rien fait alors j’ai décidé d’aller en France. J’ai quitté la Guinée en 2007. J’ai traversé le Mali, le Burkina, le Niger. Puis j’ai pris un bateau en Libye pour arriver en Italie. Ils ont pris mes empreintes là-bas sans m’expliquer pourquoi ».
- Comment avez vous été arrêté ?
« À mon arrivée en France, je vivais à porte de la Villette, dans une tente la plupart du temps. Un bus de la brigade d’assistance aux personnes sans-abri venait parfois, pour nous héberger le temps d’une nuit à Nanterre. J’ai d’abord essayé de faire une demande de séjour pour soin mais ça n’a pas marché. Ensuite j’ai demandé l’asile en septembre 2016 mais on me l’a refusé. On m’a donné rendez-vous à la préfecture de police à Cité (Paris), et on m’a arrêté là-bas. Je ne savais même pas pourquoi on m’avait donné ce rendez-vous parce que je n’ai pas étudié, donc je ne sais pas lire. Je n’ai pas compris. »
- Comment se passe votre quotidien au centre de rétention ?
« À mon arrivée, j’ai dormi pendant 10 jours dans la cour du centre, dehors. Je voulais montrer que je faisais la grève de la faim, et que je voulais être à l’extérieur, pas enfermé. À l’intérieur, il y avait une odeur irrespirable qui me faisait tousser. Ici, partout où tu es, il y a quelque chose qui fait mal. Dans la chambre, dans la cour, tu es mal. Je ne comprends même pas pourquoi ils ont créé ce centre. Il y a beaucoup de stress, parce que tout le monde en a marre. Les policiers ne nous parlent pas. Ils emmènent les gens qui se blessent à l’infirmerie. Il y a souvent des blessés ici. Moi je refuse de prendre des médicaments. Je ne suis pas ici pour avoir des médicaments. Ils n’ont qu’à me faire sortir de prison ! On m’a amené par la force. Ce n’est pas mon choix de rester ici. Je prends des médicaments dehors, pas dans une prison ! »
- A-t-on tenté de vous déporter ?
« Ici, ils affichent la liste des vols à 22h le soir pour le lendemain. J’avais un vol prévu le 24 avril mais ce jour là on ne m’a pas appelé. Le 7 mai, à 8 heures du matin, sans avoir été prévenu, les policiers sont venus me chercher. Ils m’ont fait monter dans un camion avec des détenus soudanais. On est arrivés à un aéroport, puis on nous a fait monter de force dans un petit avion à 10 heures 30. J’étais menotté dans le dos, les policiers m’ont porté dans l’avion et m’ont déposé sur un siège. Il n’y avait pas de passagers, juste des détenus et des policiers. L’avion a décollé, puis après environ 40 minutes de vol, nous avons atterri à l’aéroport du Bourget, vers 11 heures 30. Nous avons alors attendu quelques heures à l’aéroport avant que la police nous ramène au centre de rétention, sans explication. Pour le moment je ne sais pas si je vais avoir un autre vol. Il y a des vols cachés souvent, je peux être déporté n’importe quand. »
- Voulez-vous ajouter quelque chose ?
« Je fais la grève parce qu’on m’a arrêté et on va m’expulser et je ne veux pas. Je n’ai rien en Italie. Je veux montrer que la situation dans laquelle je suis c’est un problème, que je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas un lieu pour les immigrés ! »