Le prochain cercle aura lieu le vendredi 16 février à 18h30 place du Palais Royal, en face du Conseil d’État.
L'année 2024 s'ouvre sur des régressions législatives majeures pour le droit des personnes migrantes.
En France d'abord avec la loi Darmanin qui a été promulguée fin janvier et qui signe entre autres une réforme de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) qui menace l'accès au droit d'asile, la généralisation de la double peine et le recul de la protection — déjà bien faible — des mineurs isolés. Et ce n'est probablement pas fini, le gouvernement souhaitant réintroduire dans d'autres textes certains articles retoqués par le Conseil constitutionnel comme cavaliers législatifs. Le 12 février, Darmanin a annoncé vouloir supprimer le droit du sol à Mayotte suite aux blocages routiers installés par des habitants pour protester contre l'insécurité et l'immigration. Comme d'habitude, aucune réponse n'est apportée aux problèmes structurels de l'île qui conduisent à la situation actuelle comme le manque criant de logements, le sous-financement chronique des infrastructures publiques (notamment l'école et la santé), ou l'absence totale de planification de l'adaptation aux crises climatique et écologique qui causent une pénurie d'eau sévère... Et, à nouveau, le Rassemblement national qui se félicite et, enfourchant son vieux cheval de bataille, appelle à supprimer le droit du sol pour tout le pays.
Pendant ce temps, la fabrique à sans-papiers bat son plein. Obtenir un rendez-vous en préfecture pour déposer une demande de titre de séjour relève de l'exploit et, une fois la demande enregistrée, la délivrance du titre de séjour met entre deux et trois ans ! La nécessité de présenter des fiches de paie imposent aux sans-papiers de recourir à des pratiques illégales (comme l'utilisation du titre de séjour de quelqu'un d'autre) pour espérer être, un jour, régularisé !
Il nous faut aussi annoncer l'ouverture le 5 février d'un nouveau centre de rétention dans le Loiret. Muni de 170 caméras, il est prévu pour enfermer 90 personnes. Rappelons qu'il s'agit d'utiliser l'argent public pour enfermer des gens qui n'ont commis aucun délit et dont beaucoup sont inexpulsables...
Quant à l'Union européenne, elle a adopté le pacte européen sur la migration et l'asile. Une fois de plus, l'Europe renonce à l'humanité et à la solidarité et fait le choix du repli sur soi et de la répression avec notamment :
- L'introduction d'un devoir de solidarité entre pays membres qui, s'il a été salué comme une avancée, permet en réalité aux pays qui ne veulent pas accueillir de personnes migrantes de contribuer aux financements de projets visant à empêcher les migrants d'atteindre l'Europe, comme la construction de murs ou la collaboration avec des pays tiers comme la Tunisie ou la Libye. Ainsi, plutôt que de financer l'accueil, les pays peuvent choisir de financer des gouvernements qui commettent des exactions contre les exilés. Par exemple, les ONGs de sauvetage en mer alertent régulièrement sur les manœuvres dangereuses des garde-côtes libyens financés par l'UE (l'Ocean Viking a même été menacé par des coups de feu). De nombreux témoignages attestent d'expulsions forcées de la Tunisie vers les frontières avec la Libye (où le recours généralisé à la torture contre les migrants est bien documenté) ou l'Algérie (d'où les exilés sont souvent repoussés vers le Niger). Dans le premier cas, les migrants sont abandonnés dans le désert, dans le second dans les montagnes sous la neige.
- Un coup sévère est porté au droit d'asile avec la mise en place d'un filtrage aux frontières de l'UE. Les personnes provenant de pays dont le taux de reconnaissance du statut de réfugié est inférieur à 20% devront passer par une procédure accélérée. Les demandes ne seront donc plus individualisées, mais traitées différemment selon la nationalité, ce qui est contraire à la Convention de Genève. En cas de "crise" ou de "cas de force majeure", les procédures d'urgence risquent également d'empêcher les exilés d'accéder au droit d'asile.
- La réforme normalise le recours arbitraire à la détention et la création de camps (ou hotspots) en vue d'expulsions rapides et massives sans examen individuel des situations.
- Le fichage est généralisé avec le renforcement d'Eurodac, la base de données biométriques qui recueille les données des migrants. Ceux-ci pourront être contraints de se soumettre à la prise d'empreintes digitales et d'images faciales, et ce, à partir de six ans ! Les informations sensibles seront conservées pendant 10 ans et partagées avec d'autres banques de données européennes (notamment afin d'empêcher les personnes de formuler plusieurs requêtes). Il s'agit là non seulement d'une atteinte grave aux libertés et à la vie privée des personnes migrantes, mais aussi bien sûr d'une porte ouverte à la collecte massive de données sur la population générale.
- Le règlement intègre le concept de "pays tiers sûr" ce qui permettra aux États de décider de renvoyer une personne demandant l’asile vers un pays hors de l’UE, considéré comme sûr, sans étudier sa demande de protection. Les États définissent individuellement leur liste de "pays tiers surs". Encore un pas honteux vers l’externalisation des politiques d’asile !
- Le pacte conserve la logique du règlement Dublin qui oblige les migrants à déposer leur demande d'asile dans le premier pays d'entrée, ce qui surcharge les pays d'arrivée et nie les besoins et projets des personnes (en particulier les attaches familiales).
Comme d'habitude, cette réforme est à la fois inhumaine et inefficace. Augmenter les difficultés auxquelles font face les personnes migrantes ne les dissuade nullement de partir, mais leur fait prendre des routes toujours plus risquées. Par exemple, les systèmes de très haute sécurité mis en place aux abords de l'Eurotunnel et autres terminaux de ferries ne diminuent pas les départs pour le Royaume-Uni. Certains tentent de se cacher dans des camions frigorifiques (24 personnes retrouvées — heureusement vivantes — le 23 janvier). Mais la plupart tentent la traversée par la mer. Le gouvernement déploie donc de plus en plus de policiers le long des plages de départ. Les passeurs ont alors développé un système de "taxi-boats" encore plus dangereux. Ces embarcations partent de régions où les contrôles sont moins fréquents avec seulement quelques personnes à bord avant de mettre le cap vers les plages proches de Calais où se cachent les passagers ayant payé pour la traversée. Ceux-ci se jettent alors à l’eau pour embarquer, car selon le droit maritime, les policiers ne peuvent pas interpeller les bateaux déjà en mer. Les exilés attendent les embarcations dans les eaux glaciales de la Manche, parfois immergés jusqu’au torse. Ainsi, cinq personnes sont mortes noyées dans la nuit du 13 au 14 janvier.
Si comme nous, vous ne supportez plus cette politique migratoire inhumaine faite en notre nom, venez nous rejoindre le troisième vendredi du mois pour manifester, par notre silence, notre indignation et notre solidarité envers les personnes migrantes.