Le prochain cercle de silence se tiendra ce vendredi 21 février à 18h30, place du Palais royal (le suivant se tiendra le 21 mars). Votre présence en soutien est précieuse, même pour quelques minutes !
Si on espérait avoir touché le fond avec la dernière loi sur l'immigration promulguée il y a un an, il n'en est malheureusement rien et la surenchère sur la question migratoire bat son plein. C'est maintenant le Premier ministre qui nous parle de "submersion migratoire". Un discours qui, comme trop souvent, nie les faits pour orienter le débat vers les migrants et faire passer la pilule des coupes budgétaires massives qui affaiblissent toujours plus des services publics déjà en lambeau. Un discours qui permet aussi de détourner l'attention de la véritable "submersion" vécue par les centaines de foyers qui, au même moment, étaient victimes d'inondations sévères, liées au dérèglement climatique, sujet auquel le gouvernement ne fait même plus mine de s'intéresser. Il s'agit pourtant, au dire des scientifiques, d'une menace autrement plus importante que les 6% d'étrangers issus de pays tiers qui vivent actuellement dans l'Union européenne (et dont 40% sont des réfugiés ukrainiens). Et en Europe, la France est loin d'être le pays le plus accueillant. Dans notre pays, 13% de la population est immigrée, càd est installée depuis au moins un an en étant née dans un autre pays (européen ou non). Au Luxembourg, ce taux atteint 49%, il est de 29% en Suisse, 20% en Suède ou en Islande, 18% en Allemagne et en Belgique et 14% en Slovénie. Et il ne semble pas que la situation économique ou sécuritaire de ces pays ait quoi que ce soit à envier aux autres pays européens.
Mais dans la suite des propos du Premier ministre, le ministre de l'Intérieur, M. Retailleau a envoyé aux préfets une nouvelle circulaire qui porte à au moins 7 ans la durée de présence requise en France pour prétendre à la régularisation au lieu de 3 à 5 auparavant. En outre, en cas de refus, les requérants recevront systématiquement une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). De ce fait, il est à craindre que de moins en moins de personnes osent effectuer des demandes de régularisation de peur d'être expulsées. Cela vient renforcer les effets de la loi Darmanin, véritable fabrique de sans-papiers. Rappelons en effet, que la plupart des personnes sans-papiers sont entrées légalement en France mais ont vu leur situation administrative se dégrader du fait de critères de renouvellement des titres de séjour de plus en plus restrictifs. L'introduction des tests de langue risque ainsi de faire basculer des milliers de personnes dans la clandestinité. Si la connaissance de la langue est bien sûr indispensable à l'intégration dans la société, les tests sont inadaptés pour de nombreuses personnes qui ne maîtrisent pas l'écrit. Cela ne les empêche pas de travailler, de participer à la vie associative locale et de nouer des relations fortes en France.
Les politiques migratoires inhumaines que nous dénonçons chaque mois au cercle de silence n'améliorent en rien les conditions de vie des français ou des européens. Pour pourrir la vie des personnes migrantes, nos gouvernements dépensent des centaines de millions d'euros à l'heure où les hôpitaux, les écoles et les transports publics sont dans un état lamentable. L'enfermement en centre de rétention et les expulsions coûtent ainsi plusieurs dizaines de milliers d'euros par personne détenues et nécessitent des effectifs policiers alors que la police de proximité peine à répondre aux besoins de la population. Des millions sont également mis sur la table pour le déploiement de dispositifs de surveillance de pointe basés sur l'intelligence artificielle pour lesquels les frontières servent de laboratoire. Parmi les systèmes "intelligents" expérimentés dans l'Union européenne, on trouve par exemple un détecteur d’émotions pour identifier les mensonges dans un récit, un détecteur d’accent pour déterminer la provenance d’un ressortissant étranger, une analyse des messages, des photos et des géolocalisations d’un smartphone pour vérifier une identité... Les personnes migrantes servent ainsi de cobayes pour des systèmes de surveillance de masse qui pourront ensuite se généraliser.
Ceux à qui profitent ces politiques, ce sont malheureusement ceux qui font leur fonds de commerce de la misère humaine. Tout d'abord les entreprises qui peuvent exploiter une main d’œuvre corvéable à merci, car dans l'impossibilité de faire valoir ses droits, notamment dans les secteurs du bâtiment, du nettoyage ou de l'agroalimentaire. Et puis, tous les trafiquants d'êtres humains, depuis les marchands de sommeil jusqu'aux proxénètes. Les associations alertent régulièrement sur la disparition de personnes, particulièrement de jeunes filles mineures laissées à la rue, probablement dans les réseaux de traite. L'argument sécuritaire qui justifie ces politiques n'est donc qu'un voile de fumée, la précarisation toujours croissante des personnes migrantes renforçant au contraire les réseaux criminels qui les exploitent. La réalité est donc bien loin des discours sur la protection des migrants face aux passeurs. Ce que confirme la libération et l'exfiltration par l'Italie d'un trafiquant de migrants libyen, sous mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale, qui se trouvait sur son sol.
Avec le repli sur soi de l'Europe forteresse, c'est notre humanité qui est en danger. Récemment, trois adolescents égyptiens ont été retrouvés morts de froid à la frontière entre la Bulgarie et la Turquie après que la police bulgare ait ignoré les appels d'urgence des associations humanitaires et les ait empêchés de se rendre sur la zone pour leur porter secours. Un drame qui survient alors que les ONGs dénoncent depuis des années la violence de la police bulgare qui, avec la complicité de l'agence européenne Frontex, refuse l’assistance médicale aux personnes migrantes et les oblige à retourner en Turquie à la nage, après leur avoir volé leurs affaires et les avoir déshabillées de force.
Derrière toutes ces tragédies, il y a des personnes qui avaient des rêves et des familles qui les pleurent. Nous terminerons donc cette lettre avec un poème écrit par un homme qui a été sauvé par l'Ocean Viking au large des côtes maltaises mais dont la petite fille de sept ans, Rahaf, n'a pas survécu.
Sur le rivage de la mort, ton voyage s'est achevé.
Ton petit cœur, encore tendre, n'a pas résisté.
Il était rempli d'amour, débordant jusqu'au dernier souffle.
Tu es partie, ma belle, ma petite.
Ta douce voix s'est éteinte à jamais,
Laissant derrière elle un père, une mère et une sœur, perdus, errant entre ciel et mer.
Comment ton cœur si pur a-t-il pu quitter soudainement tes proches tant aimés ?
Tu as supporté les difficultés du voyage, la cruauté des vagues
- tout cela pour quoi ?
Pour une vie digne.
Oui, tu l'as trouvée maintenant, Rahaf. Tu as atteint le bonheur éternel.
Que ton âme repose en paix, mon amour.
Ce vendredi, nous rendons hommage, par notre silence, à la petite Rahaf et à sa famille ainsi qu'à tous ceux qui risquent leur vie pour échapper à l'insoutenable. Nous rendons également hommage aux milliers de personnes qui se démènent pour aider nos frères et nos soeurs migrants, depuis les équipages des navires de sauvetage jusqu'aux citoyens qui, partout en France et en Europe, se mobilisent pour leur offrir nourriture, hébergement et soutien. Nous vous y espérons nombreux !
Merci pour votre attention et à très bientôt !
Le groupe de coordination du Cercle de Silence de Paris