Dans son discours de politique générale du 1er octobre, le nouveau Premier ministre Michel Barnier a fait part de sa volonté de durcir encore la politique migratoire française. Il a notamment proposé la possibilité d'allonger la durée de rétention des personnes sans-papiers au-delà de la limite légale de 90 jours. Il a également évoqué le chantage aux visas pour les pays qui refusent d'accorder les laissez-passer consulaires nécessaires aux expulsions. Rappelons que la politique française et européenne des visas est déjà fortement inégalitaire vis-à-vis des pays du Sud, en particulier d'Afrique. Les demandes sont en effet longues et coûteuses et aboutissent le plus rarement à des refus. Cela signifie que, si les Français ont le droit de se rendre par exemple en Algérie ou au Maroc pour les vacances, les Algériens et les Marocains sont souvent privés du droit de visiter la France, y compris pour rendre visite à leurs proches.
Pour le seconder dans sa mission d'expulser un maximum de personnes, M. Barnier a nommé comme ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, qui ne fait pas mystère de ses positions anti-immigration. En visite au centre de rétention du Mesnil-Amelot, ce dernier a déclaré ne plus vouloir de la présence des associations dans les centres de rétention administrative et confier à l’Ofii, organisme sous tutelle du ministère de l’Intérieur, la mission d’aide juridique, prétextant que les associations seraient « juge et partie ». Ce serait en effet dommage qu'il y ait un regard extérieur pour témoigner des conditions désastreuses de ces centres et des pratiques illégales qui y sont monnaie courante. Par exemple, cet été, la Cimade a dénoncé les conditions sanitaires épouvantables du centre du Mesnil-Amelot où les détenus n'avaient pas un accès suffisant à l'eau pendant les fortes chaleurs. Elle a également assisté au placement en rétention de deux Brésiliens, interpellés pour suspicion d'escroquerie alors qu'ils essayaient de changer leurs billets aux abords d'un lieu d'épreuve olympique. Ils avaient pourtant leurs billets pour rentrer chez eux quelques jours plus tard. C'est sûr que ça donne une belle image de la France... Mais eux au moins ne risquent pas leur vie en rentrant dans leur pays. Ce n'est pas le cas d'autres nationalités que les préfectures n'ont pas hésité à expulser ses derniers moins. On a ainsi assisté à des expulsions vers la République démocratique du Congo (où sévissent des conflits violents qui ont fait près de 7 millions de déplacés) ou vers Haïti, pourtant en proie à une guerre des gangs meurtrière. Notons que, dans les deux cas, les ingérences occidentales ne sont pas étrangères aux drames qui se déroulent sur place : le contrôle des ressources minières en RDC, exploités notamment dans l'industrie du numérique est l'une des causes du conflit, tandis que la situation politique et économique d'Haiti ne serait sans doute pas ce qu'elle est sans la dette écrasante à laquelle la France l'a soumis entre son indépendance et la première moitié du XXème siècle (le manque à gagner actuel pour Haiti dû aux conséquences de la dette est évalué à plusieurs dizaines de milliards de dollars). Et parmi les personnes enfermées en centre de rétention récemment, se sont également retrouvés des Syriens, des Afghans, des Soudanais et des Palestiniens. Sommes-nous fiers d'essayer de renvoyer les gens vers un dictateur sanguinaire, les talibans, la famine ou un génocide ?
D'après M. Retailleau, "l'immigration n'est pas une chance pour la France". Il est étrange qu'un ancien sénateur et maintenant ministre soit si mal informé de l'apport humain et économique des personnes migrantes. Il a été maintes fois établi que les immigrés, du fait de leur âge généralement plus jeune que la moyenne française, contribuent plus aux finances publiques qu'ils ne coûtent. La Seine-Saint-Denis, département qui comprend la plus grande part de personnes issues de l'immigration en France (31,6 % selon l'Insee), est ainsi le huitième département contributeur au financement de la protection sociale alors que c'est celui qui en reçoit le moins. Pour se rendre compte de la contribution des étrangers, on peut aussi essayer d'imaginer la France sans eux. En Île-de-France, 60% des aides à la personne sont des immigrées. Souhaite-t-on vraiment qu'elles rentrent soi-disant "chez elles" ? Et Paris ne serait-elle pas un peu triste sans restaurants ? Mais pour cela, il faut des cuisiniers dont la moitié sont des personnes immigrées, une grande partie étant même sans-papiers. Plus généralement, en Europe, ce sont plus de 2,4 millions de travailleurs migrants qui s'occupent de récolter nos fruits et nos légumes, souvent dans des conditions d'exploitation sordides. Une pétition est d'ailleurs en ligne pour les soutenir et exiger des conditions de travail dignes pour tous les travailleurs.
M. Retailleau a également remis sur la table la suppression de l'AME, l'aide médicale d'Etat, qui permet aux personnes sans-papiers d'accéder à un panier de soins de base. Cette mesure, déjà retoquée par le Conseil constitutionnel lors de l'examen de la loi Immigration, fait frémir toutes les personnes sensibles à la souffrance humaine et fait bondir les médecins qui dénoncent une mesure délétère pour la santé publique et qui ajouterait un poids supplémentaire à l'hôpital public, les actuels bénéficiaires risquant de se tourner vers les urgences, le seul service qui leur serait encore accessible. Cette mesure est en outre dénuée de fondement économique, l'AME ne représentant que 0,47% du budget de l'assurance maladie.
Avec ce nouveau gouvernement, l'heure est à la remobilisation, car il est clair que la situation des migrants va être encore plus difficile qu'elle n'est déjà. Il va nous falloir nous organiser encore plus pour soutenir ces personnes et leur permettre de remplir leurs besoins de base. Mais également œuvrer à sensibiliser nos concitoyens tant à leurs souffrances qui résultent de politiques migratoires inhumaines qu'aux richesses qu'elles nous apportent. Au cercle de silence, nous voulons dire oui à la fraternité, à l'accueil et à la rencontre entre les cultures du monde, et non à l'indifférence, à la peur de l'autre et aux discriminations. Le prochain cercle de silence aura lieu le 15 novembre place du Palais royal. Nous vous y espérons nombreux !