Ne pensons pas que le gouvernement prend des vacances en été sur les dispositions anti-migrants. Au contraire, le 14 puis le 16 juillet 2024, à quelques heures de sa "démission", le gouvernement a publié plusieurs décrets d’application de la « loi immigration ». Permettant la mise en œuvre de la loi, ces décrets auront des conséquences concrètes et dévastatrices pour leurs droits, particulièrement dans un moment de l’année où les permanences associatives tournent au ralenti et ne pourront pas jouer leur rôle essentiel d’information. Parmi les mesures maintenant en application, citons notamment la réduction des délais de recours contre les obligations de quitter le territoire (48h en rétention, 7 jours en cas d'assignation de résidence), contre les refus d’accès à un hébergement ou à une allocation pour les demandeurs d’asile ou contre les décisions de transfert dans un autre pays européen (7 jours), l'exécutabilité des OQTF pendant 3 ans, la généralisation de la rétention (notamment pour les demandeurs d'asile)...
Le dernier mois, l'actualité s'est focalisée sur les jeux olympiques, mais les conséquences sociales de cet événement sur les personnes les plus vulnérables, particulièrement les migrants sans-papiers, ont le plus souvent été passées sous silence. Ainsi, selon le collectif « le Revers de la Médaille », un nombre record de 42 démantèlements de campements de migrants en trois mois a été réalisé en région parisienne, représentant 2 472 personnes expulsées. Si, lors des évacuations, la préfecture a généralement proposé aux migrants d’être transférés dans des SAS en province, ce dispositif est totalement inadapté, car la durée d'hébergement dans ces structures est limitée à trois semaines après lesquelles les personnes se retrouvent le plus souvent à nouveau à la rue, mais sans les liens de solidarité et d'entraide qu'elles avaient pu tisser dans la capitale. Le 6 août, environ 250 sans-abris et migrants accompagnés de soutiens ont occupé la place de la Bastille pour dénoncer les expulsions des populations précaires de la capitale en marge des Jeux olympiques, mais ont été dispersées par la police, bien sûr sans solution. En outre, les périmètres de sécurité installés pour les JO restreignant la circulation à Paris ont grandement compliqué l'accès des migrants aux dispositifs de solidarité comme les distributions alimentaires ou les centres de soin de Médecins du Monde.
Et puis, pendant les JO, il ne faisait pas bon être étranger et se mêler d'humanité. Ainsi, un ressortissant australien qui a tenté de s’introduire sur un terrain olympique le dimanche 4 août afin d’interpeller l’opinion publique sur les guerres en Ukraine et à Gaza a vu son visa abrogé et a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) pour "menace à l'ordre public" et a été placé en centre de rétention. Selon la loi, une personne ne peut être expulsée qu'après l'expiration du délai légal de 48h pour faire un recours contre cette décision. Mais l’administration française a décidé sciemment de violer ce droit au recours effectif, pourtant protégé par plusieurs conventions internationales et par la Cour Européenne des Droits de l’Homme et il a été expulsé dès le lendemain avant que les juristes de la Cimade présents sur place n’aient pu le rencontrer et lui permettre d’exercer ses droits. Cette situation est loin d’être un cas isolé : la France a d’ores et déjà expulsé plusieurs personnes en violation de l’État de droit depuis le début d’année. Alors que les droits accordés aux personnes menacées d’expulsion ont été à nouveau réduits par la loi du 26 janvier 2024, le ministère de l’Intérieur et les préfectures affichent un mépris de plus en plus systématique et assumé pour le respect des maigres garanties dont disposent les personnes étrangères.
Du côté de l'Union européenne, pas de trêve non plus sur les politiques migratoires répressives. Ainsi, la présidente de la Commission européenne a annoncé le 18 juillet sa volonté de renforcer l'agence Frontex chargée du contrôle des frontières extérieures en triplant le nombre de gardes-frontières et de garde-côtes européens pour atteindre les 30 000. Avec un budget colossal et en perpétuelle augmentation de plus de 845 millions d’euros en 2023 (contre 174 millions pour l'agence de l'Union européenne pour l'asile), il s'agit pourtant déjà de l’agence européenne la mieux dotée. Et cela alors que les rapports se succèdent, dénonçant l'implication de l'agence dans des violations des droits, des mauvais traitements et surtout des refoulements illégaux. Au mois de février, la médiatrice de l'UE avait pourtant tiré la sonnette d'alarme en déclarant : "Cette agence n’est pas réformable, elle est hors de contrôle. Il faut la supprimer pour faire cesser les violations qui sont perpétrées au nom de la protection des frontières et en toute impunité". L'agence n'est bien sûr pas la seule à commettre des exactions sur les migrants. Le 20 juillet, des garde-côtes grecs ont tiré sur une embarcation de migrants, blessant au moins une personne. Et le 12 juillet, le Parlement polonais a autorisé les forces de l’ordre déployées à la frontière biélorusse à tirer à balles réelles "de façon préventive" ou en "situation de légitime défense" sur quiconque tenterait de violer la frontière.
Dans le même temps, les autorités européennes ne manquent pas d'idées pour réduire encore les quelques droits et protections des personnes migrantes. Ainsi, l'ONG Statewatch a révélé, le 15 juillet, un projet européen, actuellement débattu au sein de la Commission européenne et du Conseil européen, visant à modifier la Directive sur l'aide à l'immigration illégale de 2002 qui risque de criminaliser davantage les migrants et ceux qui leur viennent en aide, y compris les organisations de sauvetage en mer. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains a estimé qu’il existe "un risque sérieux" que ce texte soit "utilisé pour criminaliser les défenseurs des droits de l'homme et dissuader les citoyens de partager des informations concernant la migration vers l'UE".
Des décennies de politiques migratoires de plus en plus restrictives montrent que cette approche est complètement inefficace pour dissuader les candidats au départ qui, pour beaucoup, n'ont plus rien à perdre. En revanche, elles causent des morts évitables par milliers. Ainsi, l'augmentation de la surveillance en Méditerranée a conduit à une reprise de la route des Canaries, pourtant l'une des plus dangereuses au monde. En effet, si par malheur, une embarcation dévie trop de sa trajectoire initiale le long des côtes africaines - à cause des forts courants marins - et se retrouve au large, elle n'a aucune chance d'être retrouvées dans l'immensité de l'océan et les passagers sont condamnés à mourir de soif et de faim. Le 6 août, une pirogue avec 14 squelettes a ainsi été retrouvée au large de la République dominicaine, en mer des Caraïbes. Les documents d’identité retrouvés à bord appartiennent à des ressortissants de la Mauritanie et du Sénégal, âgés de 24 à 33 ans qui rejoignent les 5000 personnes décédées sur cette route depuis le début de l'année. Même constat sur le littoral du nord de la France : malgré une surveillance accrue et une présence policière permanente, soutenue par l’utilisation de drones et de caméras thermiques, plus de 14 000 personnes ont tout de même atteint le Royaume-Uni en 2024, soit une hausse de 18% par rapport à la même période l'an dernier. Hausse également du nombre des morts : 9 personnes depuis la mi-juillet, soit 23 depuis le début de l'année contre 12 en 2023. En effet, pour échapper au harcèlement policier, les personnes tentent la traversée de plus en plus loin des côtes anglaises (multipliant par trois le temps passé en mer et les donc les risques de panne moteur ou de crevaison), sur des embarcations de plus en plus chargées (une jeune femme est d'ailleurs morte récemment écrasée sous les autres passagers) et dans des conditions météo de moins en moins favorables.
Quant aux discours anxiogènes sur les migrants dont nous abreuvent nombre de médias et de politiques, on voit leurs conséquences avec les émeutes au Royaume-Uni qui ont ciblé des lieux hébergeant des réfugiés et des mosquées. Comment s'étonner de tels événements quand des responsables jusqu'au sommet des États, au Royaume-Uni comme dans toute l'Europe et aux États-Unis répètent en boucle des propos tenant l'immigration comme mère de tous les maux ?
Au cercle de silence, nous cherchons au contraire à exprimer l'humanité commune qui nous lie aux personnes migrantes et notre certitude qu'il est possible de construire une société plus juste, plus humaine, plus ouverte et plus accueillante. Le prochain cercle aura lieu le 20 septembre à 18h30 place du Palais Royal. Nous vous y espérons nombreux !