Le prochain cercle de silence se tiendra ce vendredi 20 décembre à 18h30, place du Palais royal (le suivant se tiendra le 17 janvier). Pour beaucoup de personnes migrantes, l'heure n'est malheureusement pas à la fête. Votre présence en soutien est précieuse, même pour quelques minutes !
Nous aurons d'abord une pensée pour toutes les personnes affectées par le cyclone Chido qui a frappé Mayotte il y a moins d'une semaine. Les estimations du nombre de morts varient entre quelques centaines et quelques milliers de personnes et il est probable qu'un bilan exact n'en sera jamais effectué, les populations les plus affectées vivant dans des conditions sordides dans des bidonvilles où, même en temps normal, l'accès à l'eau n'est pas garanti. Cette catastrophe nous rappelle la négligence criminelle de l'État envers le département le plus pauvre de France où les trois-quarts des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Une partie importante de la population vient des Comores voisines mais également d'Afrique de l'Est ou de Madagascar. Chaque année, de nombreuses personnes meurent dans l'Océan Indien en tentant de rejoindre l'île. Aucun système de sauvetage évidemment, mais une politique migratoire particulièrement répressive avec des dizaines de milliers d'expulsions par an. Avec le cyclone, cette politique a fait des victimes supplémentaires, les personnes sans-papiers ayant craint de se faire arrêter et expulser si elles se rendaient dans les abris.
Il n'y a pas qu'à Mayotte où la crainte de la police a des conséquences mortelles pour les personnes migrantes. Cette année, plus de 80 personnes (dont des enfants) sont mortes en tentant de passer au Royaume-Uni soit plus qu'au cours des cinq années précédentes. Et le bilan ne tient compte que des personnes dont les corps ont été retrouvés, pas de celles qui sont portées disparues par des proches après un naufrage. Les associations sont unanimes sur la responsabilité portée par la militarisation de la région autour de Calais qui contraint les migrants à partir de plus en plus loin des côtes britanniques ou à monter dans les bateaux alors qu'ils sont déjà en mer, risquant l'hypothermie et la noyade. De nombreuses pratiques illégales et dangereuses de la part des forces de l'ordre ont été documentées comme le percement des embarcations, la jetée de gaz lacrymogènes dans les canots ou les tirs de lanceurs de balles de défense (LBD), une arme pourtant potentiellement létale.
Début novembre, Human Rights Watch a dénoncé, dans une lettre à Michel Barnier, alors Premier ministre, la détérioration du bilan de la France en matière de droits humains au cours des dernières années. L'ONG a notamment mis en cause lois successives sur l'immigration qui ont "porté atteinte aux droits des migrants et des demandeurs d’asile" et a pointé du doigt les "problématiques systémiques que sont le racisme structurel et les pratiques policières discriminatoires."
Cela fait plus de 16 ans que les cercles de silence ainsi que de nombreuses associations dénoncent les politiques migratoires en question. Parmi les pratiques dont nous exigeons la suppression, figure l'enfermement dans les centres de rétention, structures carcérales qui "fêtent" leur 40 ans cette année. En 2023, 45 000 personnes ont été enfermées dans ces centres, souvent de manière illégale. La Cimade a ainsi recensé des enfermements de français (!), de personnes gravement malades, d'une femme victime de violence qui sollicitait l'aide de la police et de personnes venant de régions en guerre comme le Soudan, la Palestine, Haïti ou le Tigré (en Éthiopie). Et il a fallu 11 condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme à cause de l'enfermement des enfants pour que cette pratique soit enfin interdite, sauf à Mayotte, où plus de 55 000 enfants ont été enfermés en 20 ans et où l'interdiction ne prendra effet qu'en 2027 !
À cela s'ajoutent les maltraitances quotidiennes dont sont victimes les exilés venus chercher un peu de sécurité dans notre pays. Beaucoup se retrouvent à la rue et subissent un harcèlement policier permanent pour les empêcher de former des campements, même en plein hiver. À Calais, où plusieurs milliers de personnes vivent dehors, 3200 tonnes de rochers ont été déposées en centre-ville début novembre, pour empêcher l'installation de tentes. En France, l'un des pays les plus riches de la planète, des milliers d'enfants vivent à la rue. À Paris, plus de 200 mineurs non accompagnés ainsi que deux femmes enceintes et des jeunes enfants (dont un bébé de 18 mois) ont récemment investi le bâtiment de la Gaité lyrique en espérant enfin faire valoir leurs droits à l'hébergement et à l'éducation. Aux dernières nouvelles, ils étaient toujours sans chauffage ni solution durable. Dans le Nord, une soixantaine de mineurs isolés ont été installés dans un hôtel sans aucun suivi éducatif, alors même que l'accès au titre de séjour à leur majorité est tributaire de leur parcours scolaire... À Calais, les mineurs isolés, sans ressources, tentent désespérément de monter dans les camions en partance pour l'Angleterre au risque de se faire écraser, tabasser par les chauffeurs ou mordre par les chiens des gardiens de sécurité. Pour gagner l'argent nécessaire à la traversée en bateau, certains de ces enfants en sont réduits à se prostituer.
Quant à l'Europe, elle se barricade chaque jour davantage sur elle-même, au mépris des droits humains et du droit international. Plusieurs pays comme la Finlande ou la Pologne ont décidé de restreindre l'application du droit d'asile, avec la bénédiction de la Commission européenne. Alors que situation en Syrie est encore très instable, que le pays est en ruine après 13 ans de guerre et qu'Israël en profite pour bombarder plusieurs régions dont la banlieue de Damas dans l'impunité la plus totale, de nombreux pays européens dont la France, l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Norvège ou la Suède ont décidé de suspendre le traitement des demandes d'asile des Syriens. Le droit maritime, qui impose de venir en aide aux personnes naufragées, est également allègrement bafoué. La Grèce, sous la surveillance de l'agence européenne Frontex, a effectué au moins 2000 renvois illégaux vers les eaux turcs, avec plusieurs cas de noyades documentés (et de fortes suspicions que cette pratique ait été la cause du naufrage de l'Adriana en juin 2023, entraînant la mort de 650 personnes). L'Italie augmente encore son arsenal punitif contre les ONGs de sauvetage en mer qui, en privant la Méditerranée des rares navires de sauvetage, est déjà certainement responsable d'un nombre de décès qu'on ne connaîtra probablement jamais avec certitude, certaines embarcations disparaissant sans laisser de traces. Le 11 décembre, l'équipage du navire de sauvetage Trotamar III a miraculeusement entendu les appels dans la nuit d'une enfant de 11 ans qui flottait dans l'eau depuis plusieurs jours. Les 44 autres passagers ont été engloutis par la mer. Pour l'ONG Sea Watch, le nombre moyen de personnes décédées en Méditerranée est passé de 162 à 218 avec l'arrivée au pouvoir de la Première ministre d'extrême droite. Et puis les drames s'enchaînent, dans la Manche, la Méditerranée ou l'Atlantique, où des embarcations font naufrage plusieurs jours après que des ONGs aient alerté sur leur situation de détresse, différents pays se renvoyant la responsabilité du sauvetage jusqu'à ce qu'il soit trop tard.
Ces politiques migratoires ne sont pas un problème de gestion, comme elles sont régulièrement présentées, mais correspondent à un modèle de société. Un modèle où l'on laisse des personnes à la rue ou dans des bidonvilles au sein de sociétés opulentes, où l'on paie des gens pour tirer sur ceux qui fuient la guerre ou la misère, où l'on laisse des enfants se noyer dans l'indifférence et où l'on criminalise ceux qui cherchent à leur venir en aide, en bref, un modèle sans considération pour la vie humaine. Est-ce vraiment la société dans laquelle nous souhaitons vivre ?
Au cercle de silence, nous refusons ce modèle de société et revendiquons notre détermination à construire un monde solidaire et ouvert qui célèbre la valeur intrinsèque de chaque individu. Nous vous y espérons nombreux !