Nous relayons la lettre que les demandeurs d'asile soudanais du centre d'hébergement d'Auxerre ont adressée aux autorités pour demander la protection de la France. Ils témoignent des raisons qui les ont poussées à fuir leur pays et des conditions éprouvantes dans lesquelles ils ont fait le trajet jusqu'en France.
Lettre à l'intention des autorités françaises
Des demandeurs d'asile soudanais d'Auxerre, janvier 2017
Avant la guerre civile, nous vivions tranquillement dans notre pays. Puis les guerres se sont déclenchées partout dans notre province du Darfour et nous sommes devenus les victimes à la fois du gouvernement et des milices armées, et jusqu’à ce jour nous n’avons pas trouvé la paix car, malgré tous les appels au secours que nous avons lancés, nous avons perdu nos familles, nos proches.
Nous avons dû quitter la terre de nos aïeux en laissant derrière nous tous nos biens, tout ce qui nous est cher pour trouver un endroit pour continuer à vivre comme des êtres humains et nous sommes parvenus en Libye avec l’espoir d’y trouver refuge, de pouvoir y vivre et y travailler.
Mais là-bas aussi, la vie s’est révélée impossible du fait de la guerre entre les milices qui n’ont aucun sens de l’humanité. La vie y était tellement terrible que même dire les souffrances que nous avons endurées nous est impossible.
Alors, nous avons tenté de venir en Europe où nous avions l’espoir de trouver protection, la possibilité de vivre, et le respect des droits de l’Homme dont nous avions toujours entendu parler.
Mais venir en Europe est très dangereux, il faut prendre des risques, parcourir plus d’un millier de kilomètres en barque. Nous n’avions donc qu’une alternative : soit rester en Libye dans ces terribles conditions, soit prendre le risque de traverser la Méditerranée avec des chances infimes de survie.
Nous avons décidé d’aller en Italie. Après une dizaine d’heures de navigation, où nous avons frôlé la mort, nous avons été récupérés par les équipes de sauvetage et emmenés dans des camps. Mais là, nous avons été battus et privés de nourriture parce que nous refusions de donner nos empreintes !
Du fait de cette attitude de l’Italie envers nous, nous ne pouvions imaginer quel avenir nous aurions dans ce pays et pouvoir y trouver la protection et la vie que nous recherchions, c’est pourquoi nous avons décidé de nouveau de partir vers un autre pays qui serait certainement mieux pour nous, et ce pays était pour nous la France.
Après plusieurs tentatives, nous sommes parvenus sur le sol français, espérant y trouver la protection et la possibilité de vivre. La France nous a bien acceptés et beaucoup aidés et nous avons retrouvé ici des gens de tous les pays d’Afrique.
Nous avons effectué toutes les démarches nécessaires pour bénéficier de l’asile et pendant ces sept mois d’attente, nous avons fait tout notre possible pour apprendre le français, dans des conditions difficiles, sans activité et sans accompagnement.
Alors, nous avons été désespérés par la décision de nous renvoyer en Italie alors même que nos empreintes y avaient été prises de force.
Nous demandons la protection de la France. Nous espérons que l’Etat réexaminera nos dossiers et nous viendra en aide.
Historique de la lettre
Des demandeurs d'asile de l'Yonne ont lancé un appel aux autorités. Soudanais, ils relèvent de la Convention de Dublin qui prévoit leur reconduite dans le pays où ils ont été enregistrés sous la contrainte et souvent par la force. Dans cet appel, ils expliquent ce qui les a amenés à quitter le Darfour en proie aux pires atrocités depuis 2003, les conditions à proprement parler "indicibles" qu'ils ont connues en Libye, leur dangereuse traversée de la Méditerranée et pourquoi ils ont décidé de partir d'Italie où ils avaient dû donner leurs empreintes et choisi au prix de grandes difficultés de rejoindre la France.
Transférés en bus entier depuis juillet dans l'Yonne sous prétexte de "mise à l'abri", ils ont d'abord connu souvent les hébergements d'urgence, comme le F1 de Sens, puis les Centre d'accueil et d'hébergement à Auxerre, Vergigny. Ces centres fonctionnent comme des centres de tri : les demandeurs relevant de la Convention restent dans les CAO, les autres partent dans des Centres d'accueil de demandeurs d'asile, les CADA. S'ils quittent les CAO, ils sont considérés comme illégaux.
Alors, l'ambiance dans le CAO d'Auxerre est marquée par l'attente, les contrôles, le désespoir. Car tous les jours, les demandeurs attendent l'annonce de la venue de la police qui leur apportera une convocation pour notification de remise aux autorités du pays d'enregistrement. C'est le CAO qui les informe et les transfère dans d'autres chambres dans l'attente de l'arrivée de la police. La convocation qui leur est remise alors indique expressément qu'ils pourront être emmenés directement en centre de rétention. Une autre décision peut être prise : l'assignation à résidence, signature au commissariat, délai pour organiser son départ. Mais ce délai peut être écourté lui aussi à tout moment.
C'est à Auxerre dans ces conditions que cette lettre est née. Depuis que les menaces d'application de la Convention de Dublin se sont précisées touchant des demandeurs afghans et soudanais du foyer et certainement d'autres. Depuis, ces demandeurs d'asile ne dorment pas, ils réfléchissent sans cesse à ce qu'ils doivent faire lorsque la convocation pour notification arrivera. Alors un soir, ils ont annoncé la volonté d'écrire ensemble cette lettre. Elle est leur parole, leur témoignage mais surtout un appel aux autorités, car l'application de la Convention n'est pas une fatalité.
Cette lettre est aussi un appel aux citoyens, aux associations à soutenir leur demande. Elle a pu être remise en mains propres à la secrétaire générale de la préfecture lundi 13 février. Elle a été remise à la presse ce mercredi 22 février à 18 heures. Un rassemblement d'information a eu lieu devant les locaux de l'Yonne Républicaine à Sens permettant de montrer notre inquiétude et notre solidarité."